Italie : Cécile Kyenge, ministre blacklistée

29 Mai 2013



Féminisation, rajeunissement et ouverture : trois mots qui décrivent assez bien le nouveau gouvernement italien. L’équipe du Premier ministre Enrico Letta, a en effet perdu 10 ans de moyenne d’âge par rapport au précédent gouvernement et compte 51 membres issus de tous bords politiques, dont 7 femmes. Mais la « vraie » avancée se trouve encore ailleurs : nommée ministre de l’Intégration, Cécile Kyenge est en effet devenue la première femme noire de l’Histoire de l’Italie à accéder au rang de ministre.


Italie : Cécile Kyenge, ministre blacklistée
Dans cette grande salle où elle donnait, le 3 mai dernier, sa première conférence de presse en tant que ministre de l'Intégration du nouveau gouvernement italien conduit par le social-démocrate Enrico Letta, on ne voyait plus qu'elle. Petite coupe afro, peau d'ébène, veste et boucles d'oreilles d'un blanc éclatant : Cécile Kyenge n'est manifestement pas une personnalité effacée. À peine avait-elle pris place qu'elle lançait avec aplomb : « Je ne suis pas une femme de couleur, je suis noire. Et je le dis avec fierté. » Il y a 30 ans que la nouvelle ministre vit en Italie. Elle débarque illégalement en Europe à 18 ans pour faire des études d'ophtalmologie, mais une fois son diplôme en poche, elle déchante. Elle ne peut pas exercer son métier comme elle l’entend, n’ayant pas la nationalité italienne. Désireuse de faire bouger les choses, elle se lance alors en politique, mettant son expérience d'immigrée au service de son action et devient députée.

Le droit du sol, son cheval de bataille

Dans un pays où l’immigration est particulièrement sensible, la ministre de l’Intégration entend faire du remplacement du droit du sang par le droit du sol sa priorité. « Je rencontrerai probablement des résistances, nous devrons beaucoup travailler pour y arriver », a-t-elle affirmé. « Un enfant, fils d’immigrés, qui est né ici et qui se forme ici, doit être un citoyen italien » avait-elle martelé durant sa campagne pour les législatives. Parmi ses autres préoccupations figurent l’abrogation du délit d’immigration clandestine créé en juillet 2009 par le gouvernement Berlusconi sous l’influence de la Ligue du Nord, l’amélioration de l’accès au marché du travail pour les étrangers, ou encore la lutte « contre la violence sexiste, raciste, homophobe et de toute autre nature ». Un programme qui sera loin de plaire à tout le monde.

« Il reste du chemin avant que l’Italie ne devienne vraiment multiculturelle »

Cécile Kyenge est entrée dans l’Histoire en devenant la première personne noire à obtenir les clés d’un ministère en Italie. Mais les réjouissances pour ce « grand pas en avant » ont été troublées par un barrage d’insultes. Signe du chemin à parcourir avant que l’Italie ne soit « plus intégrationniste et vraiment multiculturelle », comme l’a promis le nouveau Premier ministre démocrate. Dans un pays où des footballeurs noirs sont parfois accueillis par des cris de singe dans les gradins, la nomination de Cécile Kyenge allait forcément faire des vagues.
L’afflux d’immigrants en Italie est un phénomène relativement récent en comparaison au reste de l’Europe. En 1991, 1 résidant sur 100 détenait un passeport étranger, contre 1 sur 12 aujourd’hui.

Peu de soutien pour la ministre

Ancien ministre de l’Intérieur et Secrétaire général de la Ligue du Nord, Roberto Maroni a pris ses distances avec ses militants les plus « chauds ». Mais il a immédiatement désavoué la ministre : « Le droit du sol ne passera jamais, a-t-il prévenu. Il n’y pas de majorité pour cela au Parlement et un tel projet pourrait faire sauter le gouvernement. » Selon lui, évoquer une abolition du délit de clandestinité est « un message dangereux adressé aux candidats à l’immigration et aux trafiquants qui pourraient leur faire penser qu’il y aurait désormais en Italie un climat plus favorable ».

Toutefois, selon les chiffres de la direction générale de la justice pénale publiés le 23 mai dans le quotidien La Repubblica, le délit de clandestinité, qui prévoit une amende de 5000 à 10 000 euros pour les clandestins, n’a été appliqué qu’à 12 reprises. Il n'a pas empêché les bateaux d'immigrants d'accoster sur les côtes de l'île de Lampedusa.

Cécile Kyenge ne devrait sans doute pas trouver davantage de solidarité au sein du gouvernement. Le président du Conseil, Enrico Letta, a reconnu lui aussi qu’il ne serait pas facile d’avancer sur les deux idées chères à sa ministre. Il n’en a d’ailleurs pas dit un mot dans son discours de politique générale dont il veut faire la base contractuelle de son gouvernement de coalition entre la droite et la gauche. Une façon de lui faire comprendre qu'il a d'autres priorités.

Pour le Peuple de la liberté (droite), opposé à toute modification, ces thèmes relèvent de la stricte compétence du ministère de l’Intérieur, dont le locataire n’est autre qu’Angelino Alfano, responsable du… Peuple de la liberté. Il y a fort à parier que le Parti démocrate (gauche) n’ira pas à la bataille sur cette thématique trop clivante. Enfin, Beppe Grillo, le leader du Mouvement 5 étoiles, a réaffirmé son opposition à l’instauration du « droit du sol».

Roberto Maroni, ancien ministre de l’intérieur et secrétaire général de la Ligue du Nord
Roberto Maroni, ancien ministre de l’intérieur et secrétaire général de la Ligue du Nord

Cécile Kyenge, « un choix de merde »

Issue d’une famille de 38 enfants, la ministre a affirmé que l’Église devait apprendre à s’adapter au monde: « Grandir avec tant de frères et sœurs m’a donné l’impression de vivre dans une communauté. Cela facilite les relations avec l’autre partie de la société, en dehors de la famille ». Cette déclaration serait sans importance si ses adversaires ne l’avaient eux-mêmes utilisée pour l’accuser de faire l’apologie de la polygamie.

Cette affaire a suscité de vives réactions en Italie : une jeune député du Peuple de la Liberté (PDL) a répliqué en se demandant si, après la loi sur l’immigration: « Le ministre Kyenge compte aussi présenter une loi autorisant la polygamie, basée sur son expérience familiale au Congo ? ».

L'ex-sénateur de la Ligue du Nord, Erminio Boso, a affirmé haut et fort : « Je suis raciste, je ne l'ai jamais nié, fanfaronne-t-il. Kyenge doit rester chez elle, au Congo. C'est une étrangère dans ma maison. Qui a dit qu'elle était italienne? ». Pour son collègue Mario Borgezio, sa nomination « est un choix de merde, un éloge à l'incompétence (...). Elle a une tête de femme au foyer ».
Patiente et têtue, Cécile Kyenge - qui a reçu l'appui du footballeur du Milan AC Mario Balotelli, régulièrement sifflé dans les stades en raison de sa couleur de peau - explique qu’elle veut faire « avancer ses dossiers », si possible loin des polémiques. « Les Italiens ne sont pas racistes », veut-elle croire.

« Ce ne sont pas eux qui vont m’arrêter »

« Kyenge, retourne en République Démocratique du Congo », pouvait-on lire sur une banderole accrochée dans la nuit du 8 mai devant le siège du Parti Démocrate à Macerata, dans le centre de l’Italie. Un acte qui porte la signature de Forza Nuova, un groupuscule italien d’extrême droite. « On ne peut pas vendre au rabais la citoyenneté italienne à des éléments étrangers à notre culture. On ne peut pas obliger les citoyens à applaudir un modèle de société multiraciale comme celui de la banlieue parisienne », ont ajouté les membres de Forza Nuova dans un communiqué. Ses détracteurs lui reprochent de vouloir ouvrir un débat sur le droit de la citoyenneté basé sur le droit du sol. « Ce n’est pas eux qui vont m’arrêter », a réagi Cécile Kyenge. Elle renvoyait ainsi dans les cordes ses détracteurs racistes, qui, depuis sa nomination, se déchaînent dans les médias et sur les réseaux sociaux.

Comme elle l'a expliqué en 2012 à la chaîne Télésud : « Ce qui me donne la force de continuer, c'est l'idée que si nous, Africains, ne sommes pas représentés dans les institutions, là où les décisions sont prises, nous serons les premiers à le regretter. Et ce sera ensuite au tour de nos enfants d'en subir les conséquences ». Mère de deux adolescentes, elle s'efforce de retourner chaque année dans son pays natal. Et affirme sans complexe : « On naît africain et on le reste. Peu importe le pays où l'on vit, on est africain pour la vie. »

Notez


Julie CARBALLO
Journaliste correspondante en Italie (Sienne), pour Le Journal International. En savoir plus sur cet auteur